L’expansion de l’Univers est aujourd’hui bien décrite par le modèle ΛCDM plat (Ωk0=0). Les proportions de chacune de ces composantes sont aujourd’hui évaluées à Planck2018:
Dans ce chapitre, nous allons étudier l’histoire thermique de l’Univers ainsi que l’évolution de sa composition. Jusqu’à maintenant dans ce cours, la matière non-relativiste était traitée comme une seule entité, ralentissant l’expansion de l’Univers par son interaction gravitationnelle. Mais pour étudier son évolution avec la température et ses interactions avec les autres composantes, il faut séparer celles-ci en deux contributions: la matière sombre Ωc0 et la matière baryonique[1]Ωb0. En effet, en 1933, en étudiant l’amas de Coma, l’astrophysicien Fred Zwicky montre que la masse déduite du mouvement des sept galaxies qui le composent est 400 fois plus grande que la masse déduite du comptage des objets lumineux. Cette mesure est répétée en 1936 sur l’amas de la Vierge et donne cette fois un facteur 200. Ces mesures toutefois un peu imprécises tombent dans l’oubli jusque dans les années 1970, lorsque l’astronome Vera Rubin constate que la vitesse de rotation des étoiles de la Galaxie d’Andromède est bien plus élevée que ne le suggère sa masse lumineuse observée Rubin1970. Le constat est vite répété sur de nombreuses galaxies: une partie de la matière constituant la galaxie est donc une matière sombre, échappant alors à toute détection, représentant souvent la majorité de la masse totale des galaxies. La présence de matière sombre abondante est même visible dans l’amplitude des anisotropies de températures du fond diffus cosmologique (voir fin de chapitre). Aujourd’hui, on estime que la proportion de ces deux formes de matière froide est Planck2018:
Si l’Univers est aujourd’hui en expansion, alors il était plus petit dans le passé. L’expansion cosmique réduit la quantité de mouvement des particules d’un facteur ∝a−1 et la densité des particules d’un autre a−3. Dans les premiers temps, l’Univers était donc un état chaud et dense. Il doit donc il y avoir eu un moment où l’Univers était suffisamment chaud pour que les atomes soient ionisés, et donc dans un état de plasma où les photons interagissent avec les électrons libres. Par ces interactions fréquentes, si l’équilibre thermodynamique est atteint le rayonnement suit un spectre de corps noir défini par la température du milieu (wiki:Planck’s_law). Lors de la transition de l’état plasma à l’état neutre, vers 3000K pour un gaz d’hydrogène, l’Univers devient subitement transparent et les photons se propagent librement. Ce rayonnement de corps noir à haute température libéré à cet instant. Ce rayonnement dit fossile a été refroidi par l’expansion de l’Universe. Ce fond diffus cosmologique micro-onde a été prédit en 1948 par Ralph Alpher, Robert Herman Alpher & Herman, 1948 et George Gamow Gamow, 1948 autour de 5K, et découvert fortuitement par Arno Penzias et Robert Wilson en 1964 Penzias & Wilson, 1965Penzias & Wilson, 1965 à un température de 3.5K (Figure 1).
Le spectre du fond diffus cosmologique a été caractérisé grâce au satellite COBE, et sa température est aujourd’hui établie à Mather et al., 1999:
C’est le meilleur rayonnement de corps noir jamais détecté (Figure 2). Le rayonnement de fonds diffus cosmologique (CMB) est probablement la preuve la plus directe que l’Univers a bien été sous forme d’un plasma chaud et dense à l’équilibre dans un passé lointain.
Nous pouvons maintenant calculer la contribution actuelle des photons du CMB à la densité critique de l’univers en utilisant la température du corps noir :
C’est donc une densité d’énergie négligeable comparée à la matière froide et à l’énergie sombre.
Certes, d’autres particules ultra relativistes telles que les neutrinos contribuent à la partie restante de Ωr0. Mais avec 3 neutrinos sans masse, on aboutirait seulement à Ωr0∼9×10−5 comme on pourra le voir en fin de chapitre.
On définit l’équivalence le moment où matière relativiste et non relativiste sont en proportion égale.
Calculons le redshift zeq au moment où les proportions de matière et de rayonnement sont égales :
Évaluons maintenant la densité de baryons (particules avec 3 quarks comme les protons et neutrons) à z∼10000. La densité de baryons est aujourd’hui Ωb0=0.049. Avec une densité critique de ρc0∼6mp/m3, cela donne environ nb0≈0.3baryons/m3 aujourd’hui, puis à z∼10000 :
L’univers est donc largement dominé par les photons en terme de densité de particules, et cette proportion reste constante tout le long de l’histoire de l’Univers :
Prenons les valeurs canoniques Ωm0=0.315, ΩΛ0=0.685 et Ωr0∼9×10−5 pour la densité de matière relativiste (photons et neutrinos). A z∼10000, cela donne :
Enfin, on peut s’interroger sur le libre parcours moyen des photons. Les photons interagissent préférentiellement avec les électrons par diffusion Thomson e−+γ→e−+γ et une bonne approximation du libre parcours moyen des photons est donnée par :
où σT est la section efficace de diffusion de Thomson (6.6529×10−29m2). Pour la densité électronique, considérons que l’Univers étant neutre, il y a un électron pour chaque proton donc ne=np≈0.3e−/m3. Le temps typique entre deux interactions τT est alors :
On voit donc que dans le passé les interactions entre matière et photons étaient suffisamment fréquences pour atteindre l’équilibre thermique en un temps court devant l’expansion de l’Univers. Mais aujourd’hui, même si toute la matière était ionisée, ces photons n’interagissent plus avec elle. Les photons du CMB ne sont donc pas en équilibre thermique avec quoi que ce soit d’autres aujourd’hui. L’immense majorité des photons du CMB n’ont jamais été en contact avec des particules depuis leur émission.
Cependant, cette absence d’interactions a préservé la forme originale du spectre du CMB, qui n’a été affecté que par le décalage vers le rouge. Un photon détecté à la fréquence ν a été émis à l’origine à la fréquence (1+z)ν. En d’autres termes, le spectre d’origine était le suivant Condon & Matthews, 2018 :
L’Univers à z≈10000 était beaucoup plus chaud et plus dense. A cette température, les atomes sont ionisés et on a donc un plasma.
Tout comme aujourd’hui, la densité du nombre de photons était significativement plus grande que celle des baryons.
Enfin, les interactions entre photons et particules chargées étaient beaucoup plus fréquentes (plusieurs par temps de Hubble), il est donc tout à fait logique de considérer l’Univers comme un plasma en équilibre thermique.
A partir de cette description, nous pouvons esquisser un scénario d’évolution du plasma primordial en cataloguant les différents phénomènes physiques qui peuvent se produire lorsque celui-ci se refroidit. En voici un résumé non exhaustif.
Tout d’abord, au sortir de l’inflation (environ 10−34s après le Big Bang), il y a dû y avoir une phase dite de baryogénèse, où l’ensemble des particules et antiparticules sont créées avec un léger avantage pour la matière face à l’antimatière menant à η∼10−9. En dessous d’une température de 100GeV environ (t∼20ps), la transition de phase électrofaible a lieu, donnant la masse aux particules et faisant apparaître les bosons de jauge Z, W±. Sous 150MeV (t∼20μs, c’est la transition de phase QCD : l’interaction forte prend le dessus sur les effets thermiques. Les quarks et gluons coagulent pour former des baryons (trois quarks) et des mésons (deux quarks). Puis, 6s plus tard, électrons et positrons s’annihilent car la température du bain de photons passe sous la masse de l’électron T<me=511keV. Pendant les trois premières minutes de l’Univers (T>100keV), les noyaux atomiques des éléments légers sont formés. Au bout de 380000ans, les électrons se lient aux noyaux atomiques (e−+p→H+γ), c’est la recombinaison, et les photons se découplent de la matière (τT≪1/H). Libre de se propager, ces photons forment le fond diffus cosmologique et fournissent une photographie du plasma primordial à la fin de la recombinaison.
Modélisons le contenu de l’Univers comme un gaz de particules interagissant faiblement. Nous pouvons alors utiliser le formalisme de la physique statistique et décrire le gaz par les positions et les impulsions de toutes ses particules, définies sur l’espace {x,p}.
Dans un gaz de particules à l’équilibre thermodynamique, le nombre de particules pouvant occuper un état d’énergie (x,p) suit une fonction de distribution statistique f(x,p,t). En cosmologie, en raison de l’homogénéité de l’Univers, f ne peut pas dépendre de la position x. De plus, en raison de l’isotropie, f ne peut dépendre que de la norme de la quantité de mouvement p≡∥p∥ et non de sa direction.
Muni des fonctions de distribution, nous pouvons en déduire des propriétés macroscopiques du gaz en évaluant la probabilité d’occupation des états du système. Mais qu’elles sont-elles? Tout d’abord, la mécanique quantique nous impose que la densité des états dans l’espace des phases est finie. En effet, considérons une boîte de taille L, avec des conditions périodiques et résolvons l’équation de Schrodinger, nous obtenons que les valeurs possibles de la quantité de mouvement sont :
où ex,ey et ez sont les vecteurs unitaires et h est la constante de Planck. En conséquence, dans l’espace des quantités de mouvement, il y un état par cube élémentaire de volume h3/L3. La densité d’état dans l’espace des quantités de mouvement est donc L3/h3 :
Ensuite, il n’y a qu’une particule dans la boite quantique donc un seul état de position : dans l’espace des positions la densité d’état est de 1/L3. Au total, si la particule possède g degrés de liberté internes, la densité d’état dans l’espace des phases est :
La densité d’état est donc indépendante du volume L3. Elle reste la même pour un système arbitrairement grand.
Les propriétés macroscopiques (densité de nombre, densité d’énergie, pression) se déduisent de la probabilité d’occupation des états f(x,p,t) et de la densité d’état de l’espace des phases. La densité volumique de particules d’impulsion comprise entre p et p+dp est par exemple donné par :
Pour la densité d’énergie moyenne, puisqu’on considère que les particules interagissent faiblement et ne sont pas confinées, alors les niveaux d’énergie E(p) sont ceux d’une particule libre E(p)=p2c2+m2c4. Pour obtenir la densité d’énergie du gaz, il suffit de faire la somme des niveaux d’énergie pondérés par leur probabilité d’occupation :
Lorsque les particules peuvent échanger souvent de l’énergie et de la quantité de mouvement par des collisions élastiques, le gaz atteint un état d’entropie maximale, appelé équilibre cinétique. Les fonctions de distribution f(p,t) peuvent être obtenues en évaluant l’entropie du gaz (S=kBlnΩ) et en la maximisant, pour une énergie totale donnée et un nombre total de particules donné.
Selon la nature fermionique ou bosonique des particules du gaz, la combinatoire donnant les probabilités d’occupation de l’ensemble des micro-états Ω est différente à cause du principe d’exclusion de Pauli. A énergie totale et nombre total de particules fixés, après usage des multiplicateurs de Lagrange, ces contraintes imposent que les fonctions de distribution à l’équilibre thermodynamique sont :
avec T la température du gaz, μ le potentiel chimique de l’espèce et g son nombre de degrés de libertés interne (par exemple le nombre d’état de spin). Elles donnent le nombre de particules pouvant occuper un état d’énergie E selon que ce sont des bosons ou des fermions, à l’équilibre thermodynamique.
A haute température, on retrouve la distribution de Maxwell-Boltzmann :
Les fonctions de distribution de Fermi-Dirac et de Bose-Einstein dépendent de deux paramètres : la température du gaz, T, et le potentiel chimique de l’espèce μ, qui caractérise la variation d’entropie ou d’énergie lorsque le nombre de particules varie (voir l’encadré ci-dessous).
Si le gaz contient plusieurs espèces en interaction, chaque espèce i est décrite par sa propre fonction de distribution, son propre potentiel chimique μi. chimique μi, et éventuellement (si elle est découplée) sa propre température Ti. Nous pouvons en déduire la densité de nombre, la densité d’énergie et la température de chaque espèce.
Si toutes les espèces sont en équilibre cinétique et partagent la même température : Ti=T, le système a atteint l’équilibre thermique.
plus toute équation de conservation imposée par une charge conservée (nombre de particules, charge électrique, charge baryonique, etc.)
Pour les photons, il n’y a pas de charge conservée. Même le nombre de photons n’est pas conservé. Par exemple, nous avons une double diffusion Compton e−+γ→e−+γ+γ ou Bremstrahlung e−+p→e−+p+γ. D’où :
On peut aussi utiliser la réaction X+Xˉ⇌γ+γ pour arriver à la même conclusion.
En résumé:
Un système composés de différentes espèces a atteint l’équilibre cinétique s’il a atteint un état d’entropie maximale décrit par une fonction de distribution de Fermi-Dirac ou de Bose-Einstein.
Un système composé de plusieurs espèces interagissant via une ou plusieurs réactions chimiques a atteint l’équilibre chimique s’il a atteint un état d’entropie maximale, où la somme des potentiels chimiques des réactifs est égale à la somme des potentiels chimiques des produits.
Un système a atteint l’équilibre thermodynamique s’il a atteint l’équilibre chimique et si toutes les espèces partagent la même température T, la “température de l’Univers”.
Nous avons maintenant tout ce qu’il faut pour calculer la densité particulaire, la densité d’énergie et la pression des constituants de l’Univers. Les potentiels chimiques peuvent être négligés à haute température (μ≪T), et les équations (27), (28) et (29) peuvent être réécrites :
avec le signe + pour les fermions et le signe − pour les bosons.
Dans le cas général, les intégrales ci-dessus doivent être calculées numériquement. Il existe cependant deux limites intéressantes, qui permettent de comprendre les processus physiques en cours : le cas où les particules sont relativiste (kBT≫mc2) et le cas opposé d’espèces non relativistes (kBT≪mc2).
Avant de poursuivre, définissons : x≡mc2/kBT et ξ≡pc/kBT,
nous pouvons alors réécrire n et ρ ci-dessus comme :
On voit que les densités particulaires et d’énergie sont identiques pour les bosons et fermions relativistes à un facteur numérique près. De plus, les photons sont des bosons avec gγ=2 polarisations possibles, donc on a ici redémontré la loi de Stefan-Boltzmann.
Concernant le calcul de la pression, on a p2/E∼p pour les particules relativistes, donc :
Dans la limite non relativiste, l’énergie des particules est égale à leur masse au repos (mc2≫kBT⇔x≫1). Le potentiel chimique μ n’est plus forcément négligeable non plus. Les intégrales I et J définies ci-dessus sont les mêmes pour les fermions et les bosons et nous trouvons :
Lorsque la température descend en dessous de la masse au repos des particules, la densité du nombre de particules chute exponentiellement. La densité d’énergie et la pression sont (au premier ordre) proportionnelles à n et diminuent en conséquence. Les espèces non relativistes se comportent donc comme un gaz sans pression (car P≪ϵ i.e. wm=0). C’est cette description de la matière non relativiste que nous avons utilisée pour calculer l’expansion de l’Univers dans le régime dit “dominé par la matière”.
Calcul de la densité particulaire dans le régime non relativiste
Avec les mêmes définitions que ci-dessus : x≡mc2/kBT, ξ≡pc/kBT et avec y=μ/kBT pour réintroduire le potentiel chimique, les intégrales I− et I+ se réduisent à une seule expression si x≫1 :
Si la particule considérée est composée de plusieurs atomes, alors elles possèdent plus de degrés de libertés que les 3 translations dans l’espace. Suivant une statistique de Boltzmann, elle peut stocker de l’énergie dans des degrés de liberté de rotation ou de vibration si le milieu est assez chaud, chacun comptant pour kBT/2 dans son énergie interne. Si on note gm le nombre de degrés de liberté d’une molécule, alors la densité d’énergie s’écrit :
avec γ=Cp/CV l’indice adiabatique, que l’on retrouve dans la loi de Laplace pVγ=cst.
Ordre de grandeur des potentiels chimiques
Pour les fermions, montrons que leur potentiels chimiques sont négligeables. Comparons les densités particulaires avant et après l’annihilation de particules avec leurs antiparticules (voir Kolb & Turner, 1990 p.89):
nf−nfˉ=2π2ℏ3g∫dp⎣⎡exp((p2c2+m2c4−μ)/kBT)+1p2−exp((p2c2+m2c4+μ)/kBT)+1p2⎦⎤=6π2ℏ3g(kBT)3[π2(kBTμ)+(kBTμ)3] si mc2≪kBT=2g(2πℏ2mkBT)3/2sinh(kBTμ)e−mc2/(kBT) si mc2≫kBT
Or pour les baryons, aujourd’hui leur densité particulaire est (nb−nbˉ)≈ηnγ∝η(kBT)3. Pour les cas relativistes et non relativistes, on a donc μb/kBT∼η≪1 donc le potentiel chimique des baryons est bien négligeable. Pour les électrons, comme l’Univers est électriquement neutre[2] alors on a le même ordre de grandeur. Concernant les neutrinos, c’est plus ambigü car le fond diffus de neutrinos n’a pas encore été détecté, mais en première approximation on peut penser que là encore le potentiel chimique doit être négligeable (Weinberg (1989) p.531).
Nous partons d’un plasma primordial en équilibre thermique et chimique, contenant des espèces i à la température Ti.
Avant l’équivalence, le taux d’expansion est une fonction directe de la densité massique de matière relativiste :
Nous avons vu dans la section précédente que ρi∝Ti4 tant que la particule reste relativiste, alors que la densité chute exponentiellement quand la température tombe en dessous de la masse de la particule. Plus précisément, nous pouvons écrire :
Lorsque l’espèce i est encore à l’équilibre thermique avec les photons, alors Ti=T. Lorsque la température descend en dessous de la masse mi de l’une des espèces, elle devient relativiste et disparaît de la somme ci-dessus. Si elle se découple des photons avec une température Ti différente des photons, tout en restant relativiste, alors elle reste présente dans g∗(T) avec un poids (Ti/T)4.
Etudions maintenant l’évolution de g⋆(T), qui raconte simplement l’évolution de la matière relativiste du plasma primordial au fur et à mesure qu’il se refroidit avec l’expansion. Commençons autour de T≈300GeV. Toutes les particules du modèle standard sont relativistes (voir Figure 3). Lorsque toutes les particules sont relativistes, le nombre total de degrés de liberté est de :
Pour voir ce qui va se passer ensuite, il suffit de regarder les masses des particules énumérées dans le Figure 3. Le quark top s’annihile en premier car c’est la particule la plus lourde. Pour kBT<mtop, le plasma à l’équilibre ne peut plus produire de quarks top par annihilation de paires d’autres particules, réduisant le nombre de degrés de liberté à :
Puis, nous avons donc le boson de Higgs, suivi des bosons électrofaibles W± et Z0 : ce qui réduit g⋆ à 86.25. Ensuite, b et c s’annihilent, et g⋆ est alors réduit à 61.75.
L’événement suivant est la transition de phase QCD, qui se produit à T∼150MeV. Les quarks se combinent en hadrons (protons, neutrons et mésons). A cette température, tous sont non relativistes sauf les pions. A ce stade, les seules espèces relativistes restantes sont les photons, les neutrinos, les électrons et les muons et les 3 pions de spin 0 (avec donc gπ=3⋅1=3 degrés de liberté internes). On en déduit le nombre de degrés de liberté relativiste restant :
Les deux événements significatifs suivants sont le découplage des neutrinos autour de 1 MeV puis l’annihilation des électrons et des positrons (me=511keV).
L’entropie de l’Univers S(U,V,Ni) est une fonction des variables extensives énergie interne U, volume V et des nombres Ni de particules d’une espèce i. La variation d’entropie d’un volume comobile V de plasma à l’équilibre thermodynamique obéit au seconde principe de la thermodynamique :
Pour un volume d’Univers suffisamment grand pour être considéré homogène et isotrope, l’entropie ne peut qu’augmenter ou rester constante. De plus, les potentiels chimiques sont négligeables dans le plasma primordial (μ/(kBT)∼η). Or, à l’équilibre thermodynamique on a :
où pression et densité d’énergie ne sont finalement que des fonctions que de la température d’équilibre, que les espèces soient relativistes ou non (voir formules précédentes). Dès lors, la variation d’entropie est une fonction du volume et de la température avec (Weinberg (1989) p.532):
Cette relation donne un lien entre température et facteur d’échelle à tout instant dans l’histoire de l’Univers. Elle varie bien avec le redshift en (1+z) mais avec un facteur de proportionnalité g⋆S1/3(T) qui change par seuil selon la composition de l’Univers.
Ainsi, H∝T2 aux variations du nombre effectif de degrés de liberté dans le plasma primordial près. Gardez cela à l’esprit, cela sera utile pour comparer le taux d’expansion avec les divers taux de réaction entre les différentes espèces.
En injectant l’évolution de la température avec le facteur d’échelle, on retrouve que a∝t1/2 dans l’Univers primordial ((4)) mais le facteur de propotionalité change quand g⋆S varie. Le taux d’expansion vaut donc H=1/(2t) ce qui donne :
Nous avons maintenant (presque) tout ce dont nous avons besoin pour discuter de l’évolution du plasma primordial. Lorsque la température est suffisamment élevée, le plasma primordial contient toutes les particules du modèle standard, sous forme relativiste (plus toutes les particules qui n’ont pas encore été découvertes, par exemple les particules hypothétiques qui constitueraient la matière sombre froide aujourd’hui).
Dans l’Univers primordial, toutes les espèces de particules sont en équilibre thermique (cinétique et chimique, même température T). Au fur et à mesure de l’expansion de l’Univers, la température diminue au rythme du taux d’expansion. L’une après l’autre, les différentes espèces massives deviennent non relativistes, s’anéantissent, et leurs densités d’énergie deviennent sous-dominantes par rapport aux espèces relativistes.
Si l’Univers était en parfait équilibre thermique, et si cet équilibre avait persisté jusqu’à aujourd’hui, les abondances observées de particules massives seraient bien inférieures à ce qu’elles sont, puisque chaque espèce massive est exponentiellement supprimée lorsqu’elle devient non relativiste. En fait, les équilibres thermiques et chimiques ont besoin de taux de collision (et/ou de réaction) fréquents pour être maintenus. Avec l’expansion de l’Univers, les particules se diluent, ce qui rend plus difficile le maintien des taux de réaction. La règle empirique est qu’il faut plusieurs réactions par temps de Hubble pour maintenir l’équilibre thermique. En effet, puisque T∝a−1(92), le taux de variation de la température est le taux d’expansion :
Ainsi, l’équilibre thermique est maintenu si Γ≫H. Lorsque le taux de réaction Γ chute en dessous de H, l’équilibre thermique n’est plus maintenu, les densités de particules sont gelées à leurs valeurs d’avant le découplage. Le gel est un mécanisme essentiel pour expliquer l’abondance actuelle des particules.
3.1Découplage des neutrinos et annihilations électron-positron¶
Le découplage des neutrinos est notre première illustration de l’effet de gel. Les neutrinos n’interagissent que par le biais de l’interaction faible. Autour de ∼1MeV, ils sont encore thermalisés avec le bain de photons par des interactions telles que :
A ces énergies, la section efficace de l’interaction faible est σw∼GF2T2 avec GF/(ℏc)3=1.1663787(6)×10−5GeV−2 la constante de couplage de Fermi Nakamura & others, 2010. Par conséquent, le taux d’interaction Γ=neσwc∝GF2T5 diminue beaucoup plus rapidement que le paramètre de Hubble (∝T2) :
Autour de 1MeV, Γ∼H et les interactions entre les neutrinos et les autres particules du modèle standard deviennent très improbables. Les neutrinos se découplent du plasma primordial mais restent relativistes (mν≪1MeV). Même s’ils n’interagissent plus avec d’autres particules, ils conservent dans une excellente approximation leur fonction de distribution de Fermi-Dirac (voir encadré) avec une température qui n’est affectée que par le décalage vers le rouge. Ainsi, à ce stade :
ce qui va produire suffisamment d’énergie et d’entropie pour chauffer le gaz de photons et mener à une différence entre la température des photons et ceux des neutrinos découplés Tν<Tγ. L’entropie étant conservée, nous avons avant l’annihilation :
Nous constatons donc qu’après l’annihilation e±, la température du fond cosmique de neutrinos est effectivement inférieure à la température du CMB. Aujourd’hui, en utilisant T0=2.725K, nous trouvons :
Nous pouvons en déduire la densité de neutrinos nν en fonction de nγ. Les neutrinos sont des fermions avec 3 saveurs donc si on les suppose sans masse, aujourd’hui leur densité serait :
Le découplage des neutrinos s’est légèrement superposé à l’annihilation de e±. Comme les neutrinos interagissaient encore au moment de l’annihilation, le bruit de fond des neutrinos a été légèrement affecté par l’énergie et l’entropie libérées par l’annihilation de e±. Dans la littérature, cela est pris en compte en introduisant un nombre effectif de neutrinosNeff,eˊvaluernumeˊriquementaˋ3.046$. En tenant compte de cela, le nombre de neutrinos et la densité d’énergie sont :
En fait, les neutrinos ont des masses, avec deux conséquences importantes (1) nous ne savons pas s’ils sont encore relativistes aujourd’hui
(toutes saveurs confondues) (2) Ωνh2 est plus grand que la valeur citée ci-dessus. Les expériences observant les oscillations de neutrinos imposent que la somme des masses des neutrinos, notée ∑νmν est supérieure à 60meV donc au moins une saveur de neutrino serait non relativiste aujourd’hui si on compare à Tν0. Du point de vue de la cosmologie, si on impose de façon très prudente que Ων0<1 alors on aboutit à une contrainte ∑νmν<15eV, et les relevés cosmologiques regardant l’effondrement gravitationnel des grandes structures de l’Univers imposent ∑νmν<0.1eV (DESI Collaboration et al. (2024)).
Environ 1ms après le Big Bang, l’Univers est donc essentiellement une soupe chaude de baryons, de photons, d’électrons et de neutrinos, thermodynamiquement découplés des autres particules. On rappelle que le rapport baryon sur photon est une constante (17) et vaut plus précisément :
Tant que ces interactions existent, le rapport neutron sur proton est donné par les densités particulaires à l’équilibre (58) pour des particules non-relativistes[4] :
Or gn=gp=2 et on peut supposer que μp=μn si les potentiels chimiques des électrons et neutrinos sont négligeables. Alors le rapport neutron sur proton se simplifie en :
On en déduit que tant que la température est telle que kBT≫Qn=1.29MeV alors il y a autant de neutrons que de protons dans l’Univers, mais qu’en deçà la proportion de neutrons chute exponentiellement tant que les réactions ont lieu. En effet, si le taux d’expansion de l’Universe devient comparable ou supérieur au taux d’interaction, alors les réactions s’arrêtent et la proportion neutron sur proton est gelée. Pour la réaction p+e−→νe+n, le taux d’interaction est donné par (Kolb & Turner (1990) p.90, Weinberg (1989) p.547 et originellement dans Peebles (1966)) :
avec GF=1.16×10−5GeV−2 la constante de Fermi et gA=1.26 le couplage axial-vecteur des nucléons (Kolb & Turner (1990) p.91). Malheureusement ces intégrales doivent être calculées précisément pour obtenir la bonne proportion d’hélium, car on va voir que la proportion de neutron gèle à une température proche de Q et me, ce qui empêche de faire des approximations brutales pour se concentrer sur un régime de haute ou basse énergie. Une méthode d’intégration numérique est proposée dans Dodelson (2003) p.67 et Bernstein et al. (1989) en définissant la proportion de neutron Xn=nn/nb=nn/(nn+np) :
on obtient la figure Figure 5, convergeant vers Xnfreeze=0.15, soit 1 neutron pour 6 protons[5] si τn la désintégration spontanée du neutron est omise (τn→∞).
La proportion de neutrons Xn converge vers un plateau tant que t≲τn après la température Tfreeze=0.7MeV pour laquelle le taux d’intéraction Γnp(T) est comparable au taux d’expansion H(T) ((123))
A la température de gel des neutrons, la proportion de neutrons et de protons est donc stable, à ceci près qu’un neutron libre est instable avec un temps de désintégration d’environ 15 minutes. Toutefois, si la température descend suffisamment, protons et neutrons peuvent se combiner pour former le plus léger des noyaux atomiques par interaction forte, le deutérium D, via la réaction
avec gD=3, gn=gp=2 et μp+μn=μD+μγ=μD (Ryden (2017) p.219).
On définit la température de démarrage de la nucléosynthèse Tnuc celle où la moitié des neutrons ont été consommés pour former du deutérium, c’est-à-dire lorsque nD=nn. Le rapport deutérium sur neutron s’écrit :
soit tnuc≈280s après le Big Bang, avec g∗=3.36 dorénavant puisque l’Univers possède une température inférieure à me. A ce moment précis, la fraction de neutrons encore présente est environ de :
car il est beaucoup plus improbable que deux protons et deux neutrons se rencontrent par hasard pour former un noyau d’hélium.
Or l’énergie de liaison de l’hélium 4 est bien supérieure à celle du deutérium (BHe=28.3MeV) donc c’est sa formation qui sera favorisée. On peut donc supposer que tous les neutrons disponibles à tnuc vont terminer dans un noyau d’hélium.
Comme deux neutrons vont dans un noyau d’hélium 4, le nombre maximum de noyaux d’hélium formables est égal à la moitié des neutrons disponibles (qu’ils soient libres ou dans les noyaux de deutérium). On en déduit l’abondance en hélium 4 en nombre de noyaux comme étant :
en bon accord avec les mesures (voir Figure~Figure 8. Des calculs plus précis donnent Yp autour de 24%, et notamment prédisent aussi la proportion des autres noyaux légers comme le deutérium après tnuc, le lithium, etc (Figure 7).
La recombinaison correspond au moment où les électrons vont se combiner aux atomes pour former les premiers atomes. A ce moment là, le plasma se transforme en gaz d’hydrogène et d’hélium (plus un peu de lithium etc) neutre, laissant les photons du bain thermique libre de se propager dans l’Univers. Cette première lumière correspond au fond diffus cosmologique et nous renseigne sur l’état de l’Univers jeune et la physique qui s’y est déroulée avant.
La formation des atomes d’hydrogène se déroule par la réaction :
et on rappelle que l’énergie de liaison de l’hydrogène vaut BH=13.6eV. Une rapide approximation nous donnerait que la température à laquelle a eu lieu la recombinaison est Trec≈BH/kB≈1.5×105K, mais ce serait oublier que même à des températures plus basses l’Univers contient encore énormément de photons d’énergie assez haute pour ioniser les atomes d’hydrogène.
Une meilleure estimation doit donc reposer au moins sur le rapport baryon sur photon η et BH. Comme pour l’abondance du deutérium, à l’équilibre on peut décrire
On définit le moment de la recombinaison comme celui où le milieu est moins qu’à moitié ionisé soit Xe=1/2, alors la température du découplage est donnée par Ryden, 2017 :
soit quand l’Univers avait trec=250000 ans et alors que son évolution est dorénavant dominée par son contenu en matière. D’après la Figure 10, on voit toutefois que la recombinaison s’étend globalement entre les redshift 1200 et 1600, se qui correspond tout de même à environ 70000 ans, ce n’est donc pas un processus instantané.
Le fond diffus cosmologique est donc une lumière qui a été émise il y a environ 370000ans et l’Univers n’était quasiment plus ionisé puisque Xe(Tdec)=6×10−3. Avec l’expansion de l’Univers et la prédiction d’une abondance de 24% d’hélium, l’existence de ce fonds diffus est un des trois piliers qui assoit la théorie du Big Bang.
les hadrons se scindent en deux familles : les mésons (2 quarks) et les baryons (3 quarks). on rappelle que parmi les baryons seuls les protons sont stables. Les neutrons liés dans les noyaux atomiques sont stables, mais libres ils se désintègrent en proton avec un temps de demie vie de 15 minutes. Les mésons sont tous instables avec des temps de demie vie plus courts que 10−7s. Les électrons sont 2000 fois plus légers que les protons. L’essentiel de la masse de la matière dite “ordinaire” est donc contenue dans les noyaux atomiques d’où le raccourci “matière baryonique”.
puisque la charge électrique est associée aux forces de Coulomb et que l’expansion de l’univers n’est gouvernée que par les forces gravitationnelles, l’univers doit être globalement neutre.
stricto sensus une constante d’intégration entropique S0 doit apparaître mais celle-ci est nulle en vertu du troisième principe de la thermodynamique.
dans un certains nombres de référence, ont trouve comme température de gel des neutrons Tfreeze≈0.8MeV ce qui correspond aussi à 1 neutron pour 5 protons si on suit la distribution d’équilibre (119) mais en admettant que cette température est un ordre de grandeur bien trouvé pour que ça marche à la fin.
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